« Bien sûr que vous n’avez pas le droit d’aller à l’université, vous êtes bahá’íe. » C’est ce que Tolou Golkar s’est entendu dire par un fonctionnaire iranien, après avoir été arrêtée et interrogée pour sa participation aux activités de l’Institut bahá’í d’enseignement supérieur (IBES). L’IBES est un projet éducatif informel de la communauté bahá’íe en Iran, qui vise à offrir un enseignement supérieur aux bahá’ís qui sont exclus de l’université en raison de leur religion.
Mme Golkar s’exprimait dans le cadre d’une table ronde organisée par le Bureau des affaires publiques de la Communauté bahá’íe du Canada avec le Centre Raoul Wallenberg pour les droits de l’homme et l’Institut de Montréal pour l’étude du génocide et des droits de l’homme (MIGS) de l’Université Concordia pour commémorer la Journée des droits de l’homme. Elle est maintenant doctorante en biochimie à l’Université McGill et membre de la faculté mondiale affiliée de l’IBES. Shakib Nasrullah, qui a étudié et enseigné à l’IBES, et Kimiya Missaghi, étudiante en maîtrise à l’Université Carleton, qui a mené des recherches sur la résilience des diplômés de l’IBES.
« Le but de cette table ronde était de mettre en lumière un aspect particulièrement pernicieux de la persécution des bahá’ís en Iran — leur exclusion de l’enseignement supérieur — et de montrer comment les universités canadiennes jouent un rôle de soutien », a déclaré Corinne Box, directrice des relations avec le gouvernement pour la communauté bahá’íe du Canada.
La table ronde a commencé par les remarques de l’honorable sénatrice Mobina Jaffer, de l’honorable Irwin Cotler et de Kyle Matthews. Kyle Matthews, directeur général du MIGS, a décrit la politique générale de la République islamique envers la communauté bahá’íe : « La politique du gouvernement iranien est de détruire la communauté bahá’íe en tant qu’entité viable. Il vise à atteindre cet objectif en leur refusant tous les droits fondamentaux de la citoyenneté ». Il a noté que la réponse de la communauté bahá’íe a été pacifique et constructive. « Ils ont pris leurs propres dispositions informelles, connu sous le nom d’Institut bahá’í d’enseignement supérieur, pour s’occuper de milliers de jeunes exclus de l’université en Iran. Cela montre vraiment une volonté de contourner les problèmes que l’État place devant eux pour les empêcher de s’épanouir ».
« L’éducation n’est pas un crime », a ajouté Prof. Cotler, « c’est un droit de la personne fondamental ».
Dans ses remarques, la sénatrice Jaffer a déclaré : « En tant que femme musulmane et musulmane pratiquante, je tiens à vous dire que je ne suis pas fière de ce que font les Iraniens au nom de ma religion. Je n’en suis pas fière. Et je suis très en colère qu’ils utilisent ma religion ». Elle a déclaré aux participants, qu’elle avait, plus tôt dans la semaine, demandé au leader du gouvernement au Sénat canadien d'exhorter le gouvernement à s’exprimer contre la persécution des bahá’ís en Iran. Cette demande faisait suite à une lettre qu’elle avait cosignée avec plusieurs autres sénateurs et adressée au ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, l’exhortant à demander la libération des prisonniers de conscience — y compris les bahá’ís — en raison de la COVID-19.
Au cours de la table ronde, M. Nasrullah a parlé de son expérience d’enfant scolarisé en Iran. Il a rappelé son manque de confiance en soi en tant qu’étudiant, car les enseignants épousaient les préjugés anti-bahá’ís. « Nos enseignants nous ont souvent raconté à l’école comment les gens massacraient les bahá’ís dans leurs villes et villages ». Il a dit que ce qui lui donnait de l’espoir était la possibilité d’étudier avec l’IBES, même si les universités bloquent systématiquement les bahá’ís. Au début de l’année, il a soutenu son doctorat en psychologie de l’orientation à l’Université McGill.
Mme Golkar se souvient d’une expérience vécue en 2011, lorsque son domicile a été perquisitionné par des agents des services de renseignement iraniens et qu’elle a ensuite été arrêtée en raison de ses activités en tant qu’instructrice de biologie de l’IBES. Elle était retournée en Iran pour enseigner et travailler dans un laboratoire privé après avoir obtenu une maîtrise de l’Université de Leicester. Cependant, après la nouvelle arrestation d’une de ses amies proches, elle a décidé de quitter l’Iran pour poursuivre son doctorat à l’Université McGill.
La résilience des diplômés de l’IBES, comme Mme Golkar et le M. Nasrullah, a fait l’objet des recherches de Mme Missaghi. Elle a noté les taux de réussite élevés des diplômés de l’IBES, dont beaucoup ont dû lutter et ont fait de grands sacrifices pour poursuivre des études universitaires. Leur résilience, a-t-elle suggéré, est « la capacité de construire, de résister, de se définir et se redéfinir soi-même et son expérience face à l’injustice ».
En privant les bahá’ís de leurs droits à l’éducation et à l’égalité en tant que citoyens, a noté Mme Missaghi, « le seul résultat est de priver la société iranienne de son véritable potentiel ».
Prof. Cotler a souligné que nous devons nous voir et agir comme une famille humaine unie : « Ce doit être le message qui émerge de notre discussion aujourd’hui à l’occasion de la Journée des droits de l’homme de l’ONU et ce doit être la responsabilité des dirigeants iraniens de faire partie d’une famille humaine unie et de mettre fin à la discrimination et au ciblage des bahá’ís sanctionnés par l’État et de protéger leurs droits tels que garantis par la constitution iranienne — pour l’amélioration du peuple iranien dans son ensemble et pour l’amélioration de la condition humaine dans son ensemble ».