Nous présentons ici une traduction d’un article paru en anglais dans le numéro de février du bulletin de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), un périodique à grand tirage s’adressant aux enseignants d’université, partout au Canada. Le titre de l’article était mentionné en première page et paraissait bien en vue en page deux. L’ACPPU compte plus que 66 000 membres.
Pendant plus de dix ans, les universités canadiennes et leurs enseignants ont joué un rôle discret, mais essentiel pour fournir un enseignement universitaire du deuxième cycle aux étudiants bahá’ís, bannis des universités d’Iran en raison de leur religion. Le gouvernement iranien a maintenant déclaré que leurs diplômes canadiens étaient illégaux. Il a aussi emprisonné les enseignants et administrateurs contribuant à l’Institut bahá’í d’enseignement supérieur (IBES), un projet collectif établi en 1987, après que le gouvernement d’Iran eut congédié tous les enseignants bahá’ís et chassé tous les étudiants bahá’ís des établissements d’enseignement postsecondaire.
En 1998, l’université Carleton a commencé à accepter des étudiants iraniens qui avaient terminé des études de premier cycle à l’IBES. Étant donné leurs résultats scolaires exceptionnels, d’autres universités canadiennes, dont l’Université de Colombie-Britannique, l’Université Simon Fraser, l’Université du Manitoba, l’Université Queen’s, l’Université d’Ottawa, l’Université McGill et l’Université Concordia, ont commencé à accepter des anciens de l’IBES à leurs programmes de maîtrise et de doctorat.
Malgré l’intensification des attaques, ces diplômés d’universités canadiennes sont retournés en Iran pour enseigner aux étudiants de l’IBES, en proie à de grandes difficultés, dans des domaines comme le génie, la psychologie et l’économique. Une fois de retour en Iran, ces étudiants doivent toutefois subir toutes sortes de violations de leurs droits fondamentaux. On leur interdit entre autres de poursuivre leurs études et d’occuper certains emplois. En refusant de reconnaitre leurs diplômes canadiens, on les empêche de contribuer au développement de leur pays.
La communauté bahá’íe est la minorité religieuse non-musulmane la plus nombreuse d’Iran. Depuis 1979, en poursuivant des politiques répressives, le gouvernement iranien s’est efforcé de refuser aux bahá’ís tous les droits accordés aux citoyens du pays. Les bahá’ís ont répondu de manière constructive, et même héroïque, par diverses actions dont la création de l’Institut bahá’í d’enseignement supérieur – un effort décrit par le New York Times comme « un acte élaboré d’auto-préservation collective ».
Depuis ses débuts, l’Institut s’est développé au point d’employer presque 300 personnes, dont un certain nombre de bénévoles étrangers, bahá’ís et non-bahá’ís, qui donnent des cours par Internet. Environ 1 000 étudiants de l’IBES suivent les cours dans des résidences privées et participent à des laboratoires installés dans des lieux discrets et soumettent leurs travaux par l’intermédiaire d’Internet.
En mai 2011, les autorités iraniennes ont effectué des descentes coordonnées dans plusieurs villes, à la suite desquelles, seize enseignants et administrateurs de l’IBES ont été arrêtés et emprisonnés. Plusieurs mois plus tard, les tribunaux ont prononcé contre sept des accusés des peines totalisant 30 ans de prison.
Une de ces personnes, Nooshin Khadem, qui a obtenu une maîtrise en administration des affaires à l’Université Carleton, a été condamnée à quatre ans de prison. Bien que ses enseignants à Carleton aient tenté de la dissuader de retourner en Iran, elle était déterminée à le faire pour appuyer l’IBES.
Une deuxième vague d’arrestations le 14 septembre a ciblé d’autres enseignants qui avaient reçu une part de leur formation au Canada et enseignaient certains des cours de l’IBES. Kamran Rahi-mian et Faran Hesami (diplômés de l’Université d’Ottawa en psychologie de l’orientation) ont été incarcérés, tout comme l’ont été Shakib Nasrallah (diplômés de l’Université McGill en psychologie de l’orientation) et Kayvan Rahimian. Ils attendent maintenant qu’un tribunal prononce leur peine.
Lors de leur arrestation, ils ont été accusés d’enseigner sans reconnaissance professionnelle, et en plus de les accuser de fraude et de s’être servi de titres de compétences illégaux, les autorités iraniennes ont ajouté qu’ils étaient arrêtés pour avoir fait la « promotion de la prostitution ».
Les voix s’opposant à la discrimination dont sont victimes ces universitaires iraniens bahá’ís sont de plus en plus nombreuses. Les lauréats du prix Nobel Desmond Tutu et José Ramos Horta ont décrit les actions de l’État iranien comme « une guerre contre la connaissance ». Le sénateur Roméo Dallaire a même été jusqu’à parler des « intentions génocidaires de l’État iranien ». Les professeurs Charles Taylor et David Novak ont déclaré que le gouvernement iranien devait non seulement « cesser de persécuter les bahá’ís », mais qu’il devait aussi « promouvoir l’éducation de tous ses citoyens ».
Plus récemment, Lloyd Axworthy et Allan Rock, respectivement recteurs de l’Université de Winnipeg et de l’Université d’Ottawa, ont publié un éditorial dans lequel ils attiraient l’attention sur les récentes actions de l’Iran. Ils écrivaient « nous encourageons tous les Canadiens à joindre leur voix à l’appel adressé au gouvernement iranien pour exiger qu’il abandonne inconditionnellement toutes les accusations portées contre les enseignants, qu’il mette fin à ses attaques contre l’IBES et qu’il accorde l’accès à l’éducation à tous les bahá’ís. » [traduction]
Une campagne de défense des droits fondamentaux, Offensive contre l’éducation, pour laquelle un documentaire du même titre a été créé, est en cours sur les campus canadiens. La campagne parrainée conjointement avec Amnistie internationale cherche à mobiliser les universités, les enseignants et les étudiants pour qu’ils manifestent leur solidarité avec les étudiants iraniens bahá’ís, à qui on a interdit l’accès à l’enseignement supérieur dans leur propre pays.
Les universités canadiennes ont joué un rôle important et continuent de le faire en ce qui est d’éduquer la prochaine génération d’enseignants pouvant aider l’IBES à fournir une éducation supérieure aux jeunes bahá’ís d’Iran. Il est inacceptable que certains d’entre eux se morfondent en prison. Ne nous revient-il pas de prendre leur défense?
—————————————————————Deborah K. van den Hoonard est titulaire de la chaire de recherche du Canada en analyse qualitative et est professeur de gérontologie à l’université St. Thomas. Elle fait aussi partie du corps enseignant mondial affiliée à l’IBES.
Pierre-Yves Mocquais est professeur de français et ancien doyen de la faculté de sciences humaines à l’Université de Calgary. Il fait aussi partie du corps enseignant mondial affiliée à l’IBES.
Niky Kamran est titulaire de la chaire James McGill en mathématiques à l’Université McGill.
Redwan Moqbel est professeur et chef du département d’immunologie à l’Université du Manitoba, de même que professeur émérite et professeur adjoint de médecine à l’Université de l’Alberta.
Claire Lapointe est professeure titulaire à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval.
David R. Smith est professeur d’ophtalmologie à l’Université de Toronto.
Will C. van den Hoonard est professeur éméritus de sociologie à l’Université du Nouveau-Brunswick.
Lisa Dufraimont est professeure de droit à l’Université Queen’s.
Lyse Langlois est professeure à la faculté de relations industrielles à l’Université Laval et chercheur à l’Interuniversity Research Centre on Globalization and Work et à l’Institut d’éthique appliquée.
Albert M. Berghuis est titulaire de la chaire de recherche du Canada en biologie structurelle et professeur de biochimie à l’Université McGill.
W. Andy Knight est professeur et doyen de l’école de science politique de l’Université de l’Alberta.
Michael Power est professeur en éducation et technologie à l’Université Laval. Il fait aussi partie du corps enseignant mondial affiliée de l’IBES.
—————————————————————Cet article est d’abord paru (en anglais) dans le numéro de février 2012 du bulletin de l’ACPPU. Nous le faisons paraitre ici avec l’aimable permission de l’ACPPU.