Le 11 juin 2008, le premier ministre du Canada a présenté les excuses du gouvernement canadien à la population autochtone pour le rôle qu’il avait joué dans le dossier du système de pensionnats indiens. Son geste renforçait un processus mis en branle par la Commission de vérité et de réconciliation, créée pour appuyer le délicat processus de guérison et d’élaboration d’un récit collectif au sujet des effets qu’ont eus ces écoles sur les élèves qui les ont fréquentées.
Pensant que certaines communautés locales bahá’íes pouvaient être en mesure d’appuyer le travail de la Commission, l’Assemblée spirituelle nationale des bahá’ís du Canada, le corps dirigeant de la communauté bahá’íe, a écrit aux communautés bahá’íes du pays en juin 2010 pour leur demander de considérer si elles seraient en mesure de contribuer au processus de réconciliation entrepris par la Commission.
Une des réponses positives est venue des bahá’ís de La Pêche au Québec, une petite collectivité située au nord de la capitale nationale, où habitent Louise Profeit-Leblanc et son mari Bob Leblanc. Malgré leur petit nombre, les bahá’ís de La Pêche ont discuté de la question et ont décidé de profiter de cette occasion pour en apprendre davantage sur les pensionnats indiens.
Louise est elle même une ancienne élève d’un pensionnat indien. Au Canada, plus que 80 000 enfants autochtones ont eu personnellement l’expérience du système de pensionnats indiens administré par le gouvernement fédéral. Avant la Confédération du Canada en 1867, bon nombre de ces écoles étaient administrées par des ordres religieux, mais dans les années 1880, le gouvernement a adopté ce modèle pour l’éducation des enfants autochtones. Mme Profeit-Leblanc est de la nation Nacho Nyak Dun du Yukon. Elle a passé les années du primaire et du début du secondaire dans deux pensionnats dont le Yukon Hall de Whitehorse pour le secondaire.
Elle se souvient encore très bien d’une scène de son enfance : quand sa grand-mère est venue la chercher au pensionnat ou elle était pour l’école primaire, pour la ramener chez elle, elle lui a dit qu’elle « apprenait plus sur le péché que sur Dieu ». Toutefois, un très grand nombre de parents des enfants qui ont été envoyés dans ces pensionnats partout au Canada n’ont jamais eu la chance de ramener leurs enfants à la maison.
Pratiquant une stratégie d’assimilation agressive, basée sur le fait que les enfants sont plus malléables que les adultes, les pensionnats indiens avaient pour but de débarrasser complètement les enfants autochtones des traditions de leur culture et de les obliger à se conformer aux valeurs européennes. Ils devaient apprendre l’anglais ou le français et acquérir les compétences que le gouvernement de l’époque jugeait nécessaires pour fonctionner dans une société qui se modernise rapidement. Le gouvernement canadien croyait que sans son intervention la culture autochtone ne pourrait pas s’adapter aux changements en cours dans la société.
L’étouffement de la culture autochtone des enfants a été poursuivi dans une mesure extrême. Les enfants qui étaient surpris en train de parler leur langue maternelle ou de suivre leurs traditions ancestrales étaient punis. Ils ont vécu dans de pauvres conditions, loin de leur famille, et, dans bien des cas, ont été victimes d’abus émotionnels, physiques et sexuels qui ont eu des répercussions dévastatrices et ont souvent eu une portée sur leurs descendants. On a commencé à fermer ces écoles dans les années 1970, mais le dernier pensionnat est resté ouvert jusqu’en 1996.
Pour répondre à l’Assemblée spirituelle nationale qui avait encouragé les communautés bahá’ís à appuyer la Commission de vérité et de réconciliation, la communauté de Louise et de Bob a organisé une soirée thématique sur cette question, qui devait avoir lieu au domicile d’une des familles. Le programme incluait des prières, des tambours, une cérémonie de purification du foin d’odeur et une période de questions. Il incluait aussi la présentation du documentaire « Against the Grain – The Legacy of Indian residential Schools », dont le scénario et la cinématographie sont signés par Curtis Mandeville, un métis des Territoires du Nord-Ouest.
Une trentaine de bahá’ís de La Pêche et des environs ont participé à cette soirée. Louise et Vicki Grant ont répondu aux questions qui leur ont été adressées en tant qu’anciennes élèves des pensionnats indiens. Elles ont insisté sur l’importance de la réconciliation et sur le fait qu’elle a une incidence sur tous les Canadiens. Le système des pensionnats indiens a eu des conséquences néfastes sur la relation des autochtones avec le reste de la population canadienne. La Commission de vérité et de réconciliation a dit que les partis en cause dans cette relation – les anciens élèves des pensionnats indiens et les Canadiens qui ne sont pas autochtones – vivaient toujours les conséquences de ce programme et qu’avant que la guérison puisse commencer, il était essentiel d’entreprendre le processus de réconciliation. De plus, une des conditions préalables à la réconciliation est l’éducation sur cette période de notre histoire.
Mme Profeit-Leblanc explique : « La chose la plus frappante pour les bahá’ís qui ont participé à notre soirée a été d’apprendre que ces écoles avaient été si nombreuses au Canada ».
« Dans tout le pays, 150 000 enfants ont été séparés de leur famille et placés dans des pensionnats. Certains d’entre eux ont été mis sur un avion et envoyés loin de leur communauté, dans un lieu où ils ont dû rester toute l’année. D’autres ont été placés dans une école relativement près de leur territoire ancestral et de leur foyer et ont été mis au travail sur une ferme ou dans l’industrie textile.
À la fin de la soirée, les gens étaient tellement émus par la présentation et par la discussion qu’ils ont recommandé qu’une activité semblable soit offerte au public du village et de la région de l’Outaouais.
Louise Profeit-Leblanc et Marilee Rhody ont alors communiqué avec la révérende Giselle Gilfillan de l’Église Unie à Wakefield pour lui proposer un projet de collaboration entre sa congrégation et les bahá’ís de La Pêche pour la tenue d’une réunion publique. La révérende Gilfillan, qui a servi à La Pêche pendant treize ans, était ravie d’avoir l’occasion de porter la question des pensionnats indiens et de la réconciliation à l’attention de sa congrégation, et elle a offert que la présentation ait lieu dans son église. Il a été décidé que cette présentation aurait lieu le 18 janvier 2011.
Les trois organisatrices s’attendaient tout au plus à voir une vingtaine de personnes, mais à leur très grande surprise une centaine de personnes de divers horizons se sont assemblées dans la petite église, dont un jeune et des aînés autochtones (y compris d’anciens élèves des pensionnats indiens) du territoire Kitigan Zibi de la nation algonquine, situé à environ 80 kilomètres de là, ainsi que des habitants de La Pêche. Des prières ont été dites en algonquin, en français et en anglais.
Pour créer une atmosphère favorable au respect et à la consultation, en vue de la guérison, les participants ont formé un cercle de la parole (une approche traditionnelle des premières nations) et les chaises des enfants ont été orientées vers le nord, le sud, l’est et l’ouest. Autour de branches d’épinette et de cèdre, on a enroulé des drapeaux rouge, blanc, jaune et noir, symbolisant les nations du monde. On a placé sur les chaises des enfants une petite plume pour rappeler le souvenir des enfants qui sont morts dans les pensionnats indiens et ne sont jamais retournés chez eux.
Viola Thomas a pris la parole au nom de la Commission de la vérité et de la réconciliation. Elle a dit être très heureuse de voir un si grand nombre de gens qui n’étaient pas autochtones. Faisant de toute évidence preuve d’un grand courage, des anciens élèves des pensionnats ont raconté leur expérience. Les gens ont écouté avec leur cœur des comptes-rendus qui dans certains cas n’avaient jamais été donnés auparavant, et bien des larmes ont été versées.
« C’était un peu risqué de tenir cette soirée dans une église, étant donné le rôle des églises dans l’épisode des pensionnats », affirme Mme Profeit-Leblanc, disant qu’il était possible que certaines personnes aient décidé de ne pas assister à la soirée à cause du rôle joué par les ordres religieux.
« Un des aînés venus de Kitigan Zibi, un ancien élève d’un pensionnat, a fait le tour du pâté de maisons pendant une demi-heure avant de se convaincre d’entrer. Quand je l’ai vu, il m’a regardée dans les yeux et m’a dit : ‘‘ Je suis ici parce que tu m’as invité, Louise. ’’ Il est venu par respect pour moi qui l’avais invité. Ça m’a brisé le cœur. »
En raison du grand intérêt suscité par la réunion de janvier et de l’esprit qui y régnait, une autre réunion a été organisée pour le 30 avril à La Pêche. Cette réunion sera toutefois moins solennelle et devrait susciter moins de larmes. Elle visera plutôt à célébrer le cheminement des autochtones, qui ont persévéré et ont survécu à l’oppression et de mettre en valeur leur culture, en compagnie de ceux qui désirent contribuer à un avenir meilleur. Le programme de cette rencontre, sur le thème de la réconciliation, fera place aux arts et, plus particulièrement, à la musique, à la danse, à la peinture, à l’artisanat et aux projets des jeunes.
« Ce sera une occasion d’apprendre et de délibérer sur ce que devrait être le pas suivant », affirme Mme Profeit-Leblanc. Pour elle toutefois, l’aspect le plus significatif de ces rencontres, à la fois du point de vue d’une ancienne victime et après avoir écouté d’autres anciennes victimes raconter leur histoire, a été de constater combien nombreux étaient les enfants qui souffraient des répercussions dévastatrices des pensionnats indiens. »
« Je sais que certains de ceux qui ont participé à ces réunions ont été renversés par le nombre de pensionnats qui existaient au Canada et par le nombre de jeunes enfants qui ont été enlevés à leur famille. Ces chiffres étaient stupéfiants même pour moi! Ces enfants étaient pris en charge par des personnes qui n’avaient aucun amour pour eux. Comment peut-on accepter ce qui s’est produit ici!? »
Néanmoins, Mme Profeit-Leblanc a trouvé la paix dans ce qui s’est développé naturellement à partir de la compassion manifestée par une petite communauté, attentive aux besoins de ses membres, après qu’on lui ait présenté la foi bahá’í il y a plusieurs années.
« [Ces rencontres] nous permettent de regarder cette situation de plus près, avec humilité, avançant coude à coude avec les membres de cette extraordinaire collectivité vers leur guérison et leur destiné. Elles nous permettent de plus de devenir des participants dans un processus de réconciliation plus large, à l’échelle planétaire. »