Pour ceux qui ont raconté leur histoire et ceux qui les ont écoutés, l’Événement national de Saskatchewan organisé par la Commission de vérité et réconciliation du Canada, et qui a eu lieu à Saskatoon du 21 au 24 juin, fut une expérience cathartique. À la fin du programme, les milliers de personnes présentes – autochtones et non autochtones – en savaient beaucoup plus sur cette terrible période de l’histoire du Canada dont on subit encore les répercussions aujourd’hui.
L’établissement de la Commission de vérité et réconciliation est un des éléments de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, le plus important règlement d’un recours collectif de l’histoire du Canada. La Convention est l’aboutissement de poursuites intentées par d’anciens étudiants contre le gouvernement fédéral et les églises qui administraient les pensionnats. La Commission a reçu le mandat de découvrir ce qui s’est réellement passé dans les pensionnats indiens et d’en informer tous les Canadiens.
Plus que 150 000 enfants métis, inuits et membres des Premières nations ont été placés dans ces écoles, souvent contre la volonté de leurs parents. On interdisait à la plupart d’entre eux de parler leur langue et de conserver leur culture et un grand nombre d’entre eux ont été systématiquement brutalisés. Environ 80 000 anciens pensionnaires vivent encore aujourd’hui. Toutefois, les répercussions des pensionnats se sont fait sentir sur plusieurs générations et ont contribué à des problèmes sociaux persistants.
La Commission considère la réconciliation comme un processus individuel et collectif suivi qui nécessite la participation des personnes qui ont vécu l’expérience des pensionnats indiens et celles qui en ont subi les séquelles. Cela comprend les anciens élèves inuits, métis et membres des Premières nations, leurs familles, leurs collectivités, les groupes religieux, les anciens employés des pensionnats indiens, le gouvernement et tous les Canadiens. » La Commission consigne l’expérience des victimes. Chaque jour, durant le programme de quatre jours de Saskatoon, une centaine de personnes ont témoigné.
« À vrai dire, jusqu’au moment où j’ai lu la lettre de l’Assemblée spirituelle nationale demandant aux bahá’ís de servir comme bénévoles, je n’étais pas au courant de cette conférence », explique Kim Ennis, un artiste de Saskatoon.
« Toute ma vie, j’ai eu le sentiment que quelque chose n’allait pas dans le monde, que les gens étaient divisés. Quand j’étais jeune, je savais qu’il y avait des Indiens, mais nous n’avions pas de contacts avec eux. Je n’étais certainement pas au courant de la situation des pensionnatsindiens. »
« Je voulais faire quelque chose pour combler le fossé qui existe dans notre société et cette conférence me semblait constituer un pas dans la bonne direction. La conférence nous donne une occasion sans précédent de nous trouver ensemble et de parler, dans un contexte de vérité et de guérison. »
Kim Ennis a offert de servir dans une variété de rôles. Le premier jour, il a aidé à installer les tipis, il a conduit le bus-navette et plus tard il a conduit une voiturette de golf pour aider les participants à se déplacer sur le grand terrain du lieu de la conférence.
« Je n’ai pas assisté aux séances, mais le travail que j’ai fait m’a donné l’occasion d’avoir de belles conversations avec beaucoup de gens. J’ai quitté la conférence avec le sentiment que les Canadiens autochtones et non autochtones ont un passé commun. Nous avons le devoir d’apprendre les faits qui nous ont été cachés, qui sont à la base de notre nation. Je me rends compte que nous avons tous subi un tort à cause de ces injustices, et que, à divers degrés, nous avons tous besoin de guérir. Le seul moyen d’y arriver est d’avoir des relations personnelles, et de passer du temps ensemble. »
« Je savais que les pensionnats indiens avaient été une expérience négative, » a dit Robert White, un autre bahá’í qui a participé à la conférence, « mais cela n’est rien comparé aux moments passés à écouter les histoires des victimes. Je suis reparti de la conférence avec la certitude que l’expérience avait été traumatique, systématique et universelle. J’ai été frappé par la méchanceté de ceux qui étaient supposés prendre soin de ces enfants. Je connaissais le concept de génocide culturel, mais maintenant ce concept a un nouveau sens pour moi. »
Robert White, qui a grandi sur une ferme près de Prince Albert, a remarqué qu’il avait le même âge que plusieurs des victimes qu’il a entendues témoigner.
« À cette époque, je vivais près de réserves et pensionnats indiens, mais c’était comme si nous vivions dans deux univers parallèles. Tout cela avait lieu autour de moi. C’est une horrible ombre. Nous devons apprendre ces choses et les accepter, puis nous devons guérir.
« J’ai été très impressionné par la dignité des victimes, par leur force de caractère et leur courage, par leurs efforts pour obtenir une éducation, après qu’on leur a dit qu’ellesétaient stupides. »
« Je crois que c’est un signe positif que les non-autochtones étaient si nombreux pour entendre les témoignages sur ce qui s’est passé », affirme Sally Greenough. « L’idée de réconciliation présuppose qu’une relation existe déjà. Je me demande comment nous allons pouvoir nous réconcilier en l’absence d’une relation. C’est pourquoi il est bon de voir des non-autochtones écouter ces histoires. Il est très encourageant de voir la bonne volonté des gens de part et d’autre. »
« La présentation d’une personne qui a survécu à l’holocauste était très significative pour moi. Cela m’a permis de voir l’expérience des pensionnats indiens d’un autre point de vue. J’ai compris qu’un aspect de l’expérience des victimes est que les séquelles ont été subies par une génération après l’autre, et qu’elles ont détruit les familles.
« Pour un bahá’í, cette expérience fait ressortir l’importance que notre communauté accorde au travail devant être accompli avec les enfants et les préadolescents, y compris ceux qui subissent les séquelles de cette expérience, afin de leur faire connaitre le verbe créateur. À mon avis, cela peut permettre aux jeunes et aux familles de rebâtir leurs vies fracturées. »
Haleh Samimi, qui a immigré au Canada dans les années 1990, a dit qu’elle était heureuse de voir le soin qu’on avait mis à organiser le programme.
« Les organisateurs ont veillé à respecter et à honorer les participants, et à prendre soin d’eux. J’ai été particulièrement impressionnée par les membres de la Commission qui ont montré beaucoup de respect, de délicatesse et de tendresse pour les victimes – et, en fait, pour tous ceux qui étaient dans la salle, aussi bien ceux qui racontaient leur histoire que les membres de l’auditoire. »
« L’auditoire était relativement multiculturel et comptait bien des immigrants comme moi, et je crois que beaucoup d’entre eux ont personnellement subi des injustices et les traumatismes qui en découlent. En tant que psychologue, j’ai étudié le stress consécutif à un traumatisme et je me dis que la souffrance fait, à divers degrés, partie de l’expérience humaine. Être solidaires de la souffrance des autres peut avoir un effet unificateur. »
« J’ai trouvé que le fait que la Commission et les anciens élèves ont invité les non-autochtones à participer au cercle de la guérison était une action très bénéfique. Cette idée a été exprimée très clairement. Une des conditions pour réussir à guérir est d’inviter les autres à entrer dans le cercle. »
« J’ai remarqué que les bahá’ís étaient relativement nombreux à la conférence et qu’ils y avaient participé de diverses façons », a dit Paul Hanley. « Je crois que tous ceux qui ont assisté à la conférence ont acquis une bien meilleure compréhension de l’expérience des anciens élèves des pensionnats indiens et des conséquences de cette expérience sur les collectivités autochtones et sur toute notre société. »
« Je suis parmi ceux qui ont grandi à Regina dans les années 1950 et 1960 et qui ignoraient presque tout de l’existence des autochtones au Canada. À cette époque, il y avait une forme d’apartheid au Canada. Nous ne rencontrions jamais d’autochtones, malgré qu’ils vivaient dans des réserves partout autour de la ville où nous habitions. »
« C’est seulement après être devenu bahá’í dans les années 70 que j’ai rencontré des gens des Premières nations, que je les ai visités et que j’ai commencé à les connaitre et à connaître leur culture. Même après tout cela, je n’étais que très peu conscient des traumatismes qu’ils avaient vécus et de leurs conséquences durables.
« J’ai été très touché par une femme qui a parlé de son petit-fils. Il fait partie de la cinquième génération de sa famille à être affectée par l’expérience des pensionnats. Il a obtenu un diplôme universitaire et appartient à la première génération qui a rompu le cycle des mauvais traitements. »
« Ce fut très pénible d’écouter les témoignages, mais c’était un honneur d’avoir pu les entendre en personne. Maintenant, j’ai le sentiment que cela fait partie de mon histoire, en tant que Canadien. »
Ironiquement, si le fanatisme religieux était partie intégrante de l’environnement abusif des écoles administrées par les églises, une authentique expérience religieuse semble être essentielle pour que les gens puissent échapper au fardeau des pensionnats.
« Tous les récits que j’ai entendus ont été racontés par des gens qui ont réussi à changer radicalement leur façon de voir le monde et à l’aborder, de leur propre façon, sur la base d’une spiritualité renouvelée », affirme Kim Ennis. « Non seulement était-ce là une confirmation du pouvoir de l’esprit de redonner la vie et de guérir les âmes profondément troublées, mais le pouvoir de l’esprit était à la base de la conférence il était sa force vitale. La conférence a été conçue, planifiée et mise en œuvre par des gens d’une grande spiritualité et ce sont des gens d’une grande spiritualité qui y ont assisté. Cela était partout évident. »