Beaucoup de religions qui se sont établies au Canada, se sont concentrées dans les grandes villes ou alors se sont différenciées en établissant leurs communautés à l’écart des autres. D’après le sociologue Will van den Hoonaard, dont le chapitre sur les bahá’ís fait partie d’un nouveau livre sur les religions canadiennes publié par University of Toronto Press, la petite communauté bahá’íe du Canada a suivi un tout autre chemin.
« The Religions of Canadians » [Les religions des Canadiens] examine les religions mondiales d’un point de vue canadien en situant les religions pratiquées par les Canadiens dans un contexte planétaire, » explique l’éditeur Jamie Scott. Scott est le directeur du Programme universitaire des études interdisciplinaires à l’Université York. Le livre se concentre plus sur les caractéristiques des collectivités religieuses que sur leurs croyances. Qui sont-elles? Comment se sont-elles établies au Canada? Où vont-elles? Vers où se dirigent-elles?
« La distribution géographique des bahá’ís diffère nettement de la norme canadienne, » dit van den Hoonaard, un professeur à l’Université du Nouveau-Brunswick.
En plus de leur vaste dissémination, comportant un nombre important de croyants dans des petites villes, les bahá’ís ont toujours été – et le sont encore – une population étonnamment mobile. « Presque 36% de toute la population bahá’íe déménage chaque année. En revanche, 10% environ des Canadiens en général changent d’adresse tous les ans. » Cette mobilité a fait que la population bahá’íe, qui est relativement petite, – plus de 30 000 personnes – s’est répandue dans plus de 2300 localités à travers tout le pays.
Contrairement à d’autres collectivités religieuses au Canada qui se composent en grande partie d’immigrants, les membres de la foi bahá’íe, qui n’a pas de sectes, sont principalement des Canadiens qui se sont convertis à la Foi, bien que, depuis la révolution de 1979 en Iran, la communauté bahá’íe canadienne a accueilli un nombre important de réfugiés iraniens avec leurs familles.
Le livre, « Les religions des Canadiens », parle de neuf traditions religieuses – la spiritualité amérindienne, le catholicisme, le protestantisme, le judaïsme, l’islam, l’hindouisme, le bouddhisme, le sikhisme et la foi bahá’íe.
“« Alors que beaucoup de livres de ce genre ne consacrent que quelques paragraphes aux groupes religieux minoritaires, » dit Jamie Scott, « nous avons accordé plus ou moins le même espace aux chrétiens – qui sont plusieurs millions – qu’aux bahá’ís, qui ne comptent que quelques dizaines de milliers. Une des raisons en est que les bahá’ís sont en quelque sorte la manifestation des nouveaux mouvements religieux qui se sont installés au Canada et s’y sont épanouis. De plus, nous avions un érudit qualifié en la personne de Will van den Hoonaard qui avait effectué des recherches sur le sujet. »
Deux facteurs essentiels de la diversification de l’expression religieuse au Canada à la fin du 20e siècle furent la Charte canadienne des droits et des libertés en 1982, et la Loi sur le multiculturalisme canadien de 1988. Ces deux lois ont eu pour effet de renforcer l’attitude tolérante qui était, depuis longtemps, une caractéristique des Canadiens.
La foi bahá’íe au Canada date de la fin du 19e siècle. Un des premiers Canadiens à devenir bahá’í fut Honoré Jaxon, un fermier qui avait été le secrétaire du dirigeant métis, Louis Riel; cependant, Jaxon adhéra à la Foi en 1897, après avoir émigré aux États-Unis. C’est une Américaine installée à Montréal depuis 1902, May Maxwell, qui est reconnue comme étant la personne ayant formé le premier groupe bahá’í au Canada. La communauté bahá’íe canadienne naissante du début du 20e siècle était composée d’activistes sociaux libres-penseurs, de suffragettes et de personnes que nous qualifierions aujourd’hui d’adeptes du« New Age ».
La visite de ‘Abdu’l-Bahá à Montréal en 1912 galvanisa ces premiers bahá’ís et entraîna la formation d’une communauté ayant sa propre identité. ‘Abdu’l-Bahá, le fils du fondateur de la Foi, Bahá’u’lláh, a inspiré les gens au-delà des frontières de races, de cultures et de religions. Une série de lettres qu’il a écrites, appelées Les tablettes du plan divin, dans lesquelles il exhorte le petit nombre de bahá’ís canadiens à voyager à travers tout le pays pour y établir la foi, peut être considérée comme la cause majeure de cette mobilité des bahá’ís, qui existe encore de nos jours.
La communauté bahá’íe passa par différentes phases alors qu’elle se développait lentement à travers le pays. Van den Hoonaard décrit, par exemple, le rôle important joué par des femmes seules dans l’expansion de la foi, et la répercussion que cela eut sur la composition de la communauté à ses débuts.
« La foi bahá’íe attira à l’origine un plus grand nombre de femmes. Dans ses débuts, elle agissait comme un aimant pour les féministes et les femmes prônant les réformes sociales comme les collègues de May Maxwell, Edith Magee et Rose Henderson, qui militaient inlassablement pour l’amélioration de la condition féminine, l’éradication de la pauvreté et l’élimination des préjugés. De plus en plus, la Foi commença à attirer des femmes célibataires, habitant les villes. De 1942 à 1947, par exemple, le nombre de femmes membres de la communauté bahá’íe de Vancouver passa de 56% à 84%. »
La composition raciale est un autre facteur. Les premiers bahá’ís étaient principalement d’origines britannique et protestante. « Les Canadiens catholiques francophones étaient déconcertés par l’absence de rites, le nombre important de personnes célibataires et de couples sans enfants, ainsi que par l’absence de famille élargie et de relations sociales établies. Un tel paysage social manquait de repères pour les nouveaux bahá’ís issus de milieux culturels et religieux différents. »
AUn changement important dans la composition ethnique de la communauté bahá’íe eut lieu après que des efforts furent faits pour intéresser les autochtones canadiens aux enseignements bahá’ís. « En 1960, un couple bahá’í de Calgary fonda un club social destiné aux autochtones et aux non-autochtones. Au début de 1961, le club était devenu le fondement de ce qui devait devenir plus tard le Native Friendship Centre, organisant des réunions rassemblant de 50 à 150 personnes, plus ou moins également réparties entre autochtones et non-autochtones. » Très vite, le message bahá’í fut transmis à des milliers de personnes des Premières Nations. Dans les années 1960 et 1970, de nombreux jeunes adhérèrent à la Foi et la proportion de jeunes dans la communauté reste relativement importante de nos jours.
L’accent mis sur le fait de se déplacer vers de nouvelles régions pour établir des communautés bahá’íes contribua à la croissance exponentielle de la communauté bahá’íe. En 1944, il n’y avait que 90 bahá’ís dans tout le pays. En 1948, quand une loi du Parlement décréta l’incorporation de l’Assemblée spirituelle nationale des bahá’ís du Canada, il y avait 263 bahá’ís vivant dans 41 localités, avec 16 assemblées spirituelles (conseils responsables des affaires de la communauté). Cinq ans plus tard, il y avait 554 bahá’ís dans 102 localités, et de nombreux bahá’ís canadiens partaient s’installer dans d’autres pays. En 1963, 2 500 bahá’ís étaient répartis dans 290 localités, avec 68 assemblées spirituelles à travers tout le Canada.
« Bien que, dans l’ensemble, la croissance de la communauté bahá’íe au Canada n’ait rien de spectaculaire, » explique van den Hoonaard, « elle a été régulière, marquée par des périodes de grande expansion. » De nos jours, une nouvelle initiative, qui est d’inviter chacun, bahá’í ou non, à participer aux activités de quartier, commence à attirer une plus grande participation aussi bien de la part des membres que des non-membres.
Un domaine dans lequel les Canadiens ont apporté leur contribution de façon extraordinaire est celui de « l’architecture bahá’íe. » Des architectes canadiens ont conçu plusieurs des sites bahá’ís les plus connus, comme le remarquable temple de Chicago; les magnifiques jardins et terrasses et le Mausolée du Báb en Israël; le temple du Lotus en Inde – qui sont parmi les sites les plus visités au monde – et maintenant le temple du Chili, actuellement en construction.
« Le fait que la communauté bahá’íe canadienne se caractérise par une plus forte proportion de jeunes que l’ensemble de la population, devrait assurer la continuation de sa croissance, » dit van den Hoonaard, « tout en développant des racines encore plus profondes au Canada. »