Beth McKenty est déménagée à Iqaluit en 1999 pour réaliser la promesse qu’elle avait faite 45 ans plus tôt de consacrer une partie de sa vie à la réduction du taux de suicides chez les jeunes.
Moins de deux semaines après son arrivée, elle avait lancé un projet visant à aider les enfants à améliorer leur confiance en soi en explorant leur créativité. L’initiative de promotion des arts chez les jeunes de l’arctique a pris de l’ampleur et aujourd’hui des centaines d’enfants y participent.
Les efforts de Mme McKenty ont été reconnus ce mois-ci lorsque la gouverneure générale, Michaelle Jean, a annoncé les lauréats du Prix du Gouverneur général pour l’entraide. Créé en 1996 par l’ancien gouverneur général Romeo LeBlanc, le prix est décerné à des individus et à des groupes dont les contributions volontaires et non rémunérées, effectuées au cours d’un certain nombre d’années, ont fourni un soutien ou des soins extraordinaires à des gens dans leur communauté.
Le chemin a été long et souvent parsemé de surprises pour Beth McKent. Elle est en effet née à Snowflake (Manitoba) et habite maintenant à Iqaluit. Outre plusieurs décennies passées au Wisconsin, où elle a travaillé comme journaliste indépendante et élevé une famille, Mme McKenty a vécu au Japon, en Chine et en Russie, et elle a enseigné au Navajo College à Tsaile (Arizona).
« J’ai été élevée sur une ferme du Manitoba au sein d’une famille de sept enfants. Mon père était fait de l’étoffe des pionniers et a servi à la crête de Vimy. Ma mère, une infirmière, était une immigrante islandaise. Nous avons grandi dans un foyer qui prônait une ouverture vers le monde entier.
« En 1954, mon jeune frère s’est suicidé. J’ai réussi à surmonter cette peine en partie en me promettant qu’un jour je ferais quelque chose, n’importe quoi, pour aider à réduire le taux de suicides chez les jeunes. »
C’est le jour où son frère a été enterré que Mme McKenty a entendu parler pour la première fois de la foi bahá’íe. Dès qu’on lui a mentionné le principe de l’unité du genre humain énoncé par Bahá’u’lláh, elle a senti que cela correspondait aux valeurs avec lesquelles elle avait grandi. Elle s’est ensuite lancée dans un monde d’activités bahá’íes.
« J’ai été très occupée et les années passaient, mais j’avais toujours à l’esprit la promesse que j’avais faite à mon frère. Puis, en 1999, deux choses sont arrivées en même temps. J’ai d’abord lu que le taux de suicides chez les jeunes dans le territoire nouvellement formé du Nunavut était sept fois plus élevé que la moyenne au Canada. Peu de temps après, j’ai assisté au congrès national bahá’í à Montréal où j’ai appris qu’il y avait des possibilités de servir dans l’arctique. J’ai saisi ma chance. »
En octobre cette année-là, Mme McKenty avait déménagé dans un foyer bahá’í à Iqaluit.
« J’étais venue avec un objectif, mais je ne savais pas comment m’y prendre pour le réaliser. Puisque j’avais eu mon propre studio pendant deux ans, j’avais apporté mes toiles avec moi à Iqaluit. Deux semaines après mon arrivée, j’ai entendu des sons étranges et découvert que deux garçons essayaient de jeter des pierres au-dessus de la maison, mais sans grand succès. J’ai ouvert la porte et leur ai demandé s’ils voulaient entrer pour boire un bon chocolat chaud.
« Étant donné que j’étais en train de peindre, je leur ai demandé s’ils voulaient peindre aussi. Je leur ai expliqué qu’ils pouvaient mélanger le rouge, le jaune et le bleu avec n’importe quelle couleur, sauf le blanc. Malgré leur gêne, ils ont accepté. J’ai été surprise de voir leurs œuvres. Elles étaient si nordiques. Le patrimoine inuit de ces enfants était évident. Ils sont revenus plus tard avec un ou deux amis. C’est comme ça que le projet a commencé.
« Je n’ai jamais vraiment enseigné à ces enfants. J’ai simplement fourni un endroit et du matériel de bonne qualité. Outre la peinture, les enfants ont pu s’amuser avec des jeunes, gagner des prix, prendre des collations et participer à de « nombreuses » fêtes d’anniversaire occasionnelles. »
Bien qu’il ait été organisé dans un foyer bahá’í, ce projet est complètement séparé des réunions bahá’íes et est offert à titre de service à la communauté. Petit à petit, une routine spéciale s’est établie. Mme McKenty saluait d’abord tout le monde, puis préparait le matériel pour chaque enfant : palettes, pinceaux, papier et peinture.
« J’ai appris rapidement, se rappelle-t-elle, qu’il est important de donner exactement la même quantité de matériel à chaque enfant, car l’étape de la préparation du matériel suscite beaucoup d’intérêt. Je demandais six ou sept minutes de silence au début de l’atelier de peinture, car j’ai appris que parler nuit à la phase conceptuelle. Souvent, le silence se poursuivait pendant un certain temps, les jeunes artistes étant absorbés par leur création. »
Peu à peu, de plus en plus d’enfants venaient et amenaient leurs amis. Aujourd’hui, l’atelier du samedi matin compte environ de 5 à 20 participants, âgés entre 4 et 14 ans.
« Ce projet a de nombreux avantages qui vont au-delà de l’art. Il est important que les enfants se fassent des amis ici. Un enfant qui n’est très populaire auprès des autres peut produire quelque chose de très inhabituel ou de très beau; ce qui a un effet sur les sentiments des autres et l’estime de soi de l’enfant.
« Je ne peux pas affirmer avec certitude qu’ils ne s’enlèveront pas la vie lorsqu’ils seront adultes, mais je sais que les chances sont moins grandes s’ils sont fiers de leur travail, félicitent les autres, reçoivent des félicitations et en apprennent davantage sur les relations humaines.
« D’après mon expérience, chaque être humain est un artiste. Lorsque nous acceptons ce fait, cela nous aide à comprendre notre propre âme. »
L’initiative de promotion des arts chez les jeunes de l’arctique a pris de l’ampleur de façon continue et comprend même des visites aux écoles. Avec l’aide d’autres personnes et organisations, les ateliers ont été organisés dans huit autres villages au Nunavut, y compris les deux villages situés les plus au Nord, Resolute et Grise Fiord. Les œuvres des participants ont aussi été présentées au Parlement du Nunavut, au musée Nunatta Sanukkataangit d’Iqaluit, ainsi qu’au musée Glenbow à Calgary et à la galerie d’art inuit Marion Scott de Vancouver.
Deux jeunes artistes tout particulièrement doués recevront un cours personnalisé d’une durée de deux semaines à l’École d’art d’Ottawa et visiteront des galeries et des musées cet été pour les remercier d’avoir participé régulièrement aux ateliers pendant huit ans.
« Ma vie en tant que bahá’íe est tellement riche, déclare Mme McKenty. J’ai appris qu’il faut considérer littéralement chaque être humain comme un membre de la famille. J’espère que c’est ce que les enfants pensent également, que nous sommes vraiment unis dans ce que nous faisons et que je ne suis pas une professeure provenant d’ailleurs, mais une amie.
« J’ai été très touchée, à mon retour des funérailles de mon fils Jack Jr. à Los Angeles il y a deux ans, de trouver à ma porte un énorme panier d’orchidées et de lis, accompagné d’une note disant : « De vos amis, les chauffeurs de taxi d’Iqaluit ». Bien que ce projet vise les enfants, il a de toute évidence touché d’autres cœurs et le mien continue de s’enrichir grâce au privilège que j’ai de vivre et de travailler à Iqaluit. »